jeudi 31 janvier 2008

It's a liberal world

Si le rapport Attali se concrétise, on risque fort de vivre dans l’un des six films suivants, des films où l’on n’a de cesse de travailler plus sans forcément gagner plus, des films où les héros sont tout entier animés par la liberté d’entreprendre sans entrave et de ramener, soir et matin, des points de croissance quitte à aller les chercher même avec les dents. Est-ce que ça fait envie ?

La vérité si je mens 2 (Thomas Gilou 2001)
Comme dans nombre de comédies franchouillardes, la recette du bonheur est simple : des potes pour la vie, des nanas pour une nuit et du fric. Sauf que là, on doit faire un poil plus d’efforts que dans Brice de Nice ou Ah ! Si j’étais riche (où le fric tombe du ciel) et qu’on nous montre un tant soit peu, comment l’obtenir : en montant une arnaque à base d’usine en carton et de commande frelatée. Ou les relations d’affaires comme une gigantesque partie de bonneteau. Ou le plus vieux gag du monde (l’arroseur arrosé) adapté au libéralisme : l’arnaqueur d’aujourd’hui sera l’arnaqué de demain.

D’une même voix, Laurence Parisot et Ségolène Royal déplorent non seulement le parfum machiste de l’ensemble, mais surtout le manque de vision gagnant-gagnant dans cette façon d’entreprendre.


Tucker, the man and his dream (Francis Ford Coppola 1988)
Souvenir fort vague. Une affiche retrouvée sur le Net...

... me ferait dire qu’on risquerait de trouver là un exemple flagrant de « film soviétique américain ». Pour autant, film assez paradoxal : hagiographie contrariée d’un fabricant automobile de l’après-guerre, cousin oublié de Rockefeller et d’Howard Hughes qui voyait dans l’industrie le moyen de poursuivre ses jeux et rêves d’enfant. « Success story » en demi-teinte, minée par l’amertume d’un héros prométhéen qui avance envers et contre tout, mais en partie condamné d’avance, victime des lobbys, des trusts et des rivaux moins inspirés. En somme, victime de tous les « freins à la croissance » (mais en fait, surtout la sienne de croissance) possibles et inimaginables. Soixante ans avant, Tucker réclamait déjà que les 316 mesures du rapport Attali soient appliquées sans condition. En même temps, l’identification du réalisateur à son héros étant tellement évidente, il apparaît rétrospectivement assez louable que la croissance de l’ego de Coppola ait subi quelques nets coups de frein, parce que, sinon, devenu le parrain d’Hollywood ou « the last tycoon », on n’en pourrait plus.


Coûte que coûte (Claire Simon 1996)
Documentaire sur la déconfiture d’une PME de préparation de plats préparés, ou malgré une évidente bonne volonté et solidarité, c’est une fatale stratégie de l’échec qui semble à l’œuvre.

Dispositif simple mais diablement efficace (ne venir filmer que les fins de mois) qui fait des bilans, factures, payes et dettes d’incommensurables éléments de suspense (nos héros s’en sortiront-ils ce mois-ci ?), mais surtout ton singulier et plutôt inattendu. Finalement détaché, philosophe, à mille lieux de toute commisération ou apitoiement propre au « film de gauche ». Il faut dire qu’il ne s’agit pas ici de compter les points entre deux camps, mais de constater que patron comme salariés partagent par nécessité (voire par solidarité ?) la même galère. Le gouvernement actuel fait la fine bouche devant cette vision de « la petite entreprise qui connaît trop bien la crise ».


Weeds (série créée par Jenji Kohan 2005)
Une mère de famille se lance dans le trafic de haschich mais attention « à la Clinton », sans avaler la fumée. La série évite prudemment les dommages collatéraux (pas un junkie ou un simple dépendant à l’horizon, en tout cas dans la première saison) et se concentre sur un jeu de dupes entre adultes et ados. Pour autant, chaque épisode est l’occasion d’une petite séance de vulgarisation des joies managériales : établissement du siège social, recherche de clients et d’investisseurs, buzz marketing, communication et diversification, « plus produit » pour conserver une longueur d’avance sur la concurrence. Les leçons sont bien apprises, bien intégrées, saupoudrées au quotidien de l’american way of life de la même façon habile que Daft Punk intègre le marketing à sa musique. Un petit commerce qui suit son petit bonhomme de chemin, avec juste ce qu’il faut d’innovation pour ne pas péricliter, mais sans agressivité (on n’est pas des rapaces non plus). De toute façon, en Amérique comme ailleurs, le plus difficile des artisanats reste celui de la famille.



American Gangster (Ridley Scott 2007)
Variante de la précédente, mais version import-export, grande distribution et clientèle captive. Et un patron qui perd subitement son sens de l’humour dès lors qu’il est question de sa franchise (à tous les sens du terme d’ailleurs) et de la qualité de ses produits. Là encore, beaucoup de documentation sur le « gangstérisme » assimilé au plus performant des mécanismes économiques, mais faute de point de vue d’écriture et de réalisation, ce « gangstérisme, stade suprême du libéralisme » (quel beau brûlot, ça aurait pu être) tourne court. Frank Lucas pourra toujours plaider qu’il a ramené quelques points de croissance à Harlem, et créé quantité d’emplois dans le Bronx, mais sa seule ligne de défense, c’est finalement celle assez blasée (et effrayante) du film : « Deal is a dirty job but someone got to do it ». Tout comme notre Président a sermonné Jérôme Kerviel pour slogan mal compris (il s’agit juste de « travailler plus pour gagner plus », mais pas de ne « prendre aucun jour de vacances pour gagner beaucoup trop »), le Medef rappelle que Frank Lucas sort des critères du « manager de l’année » et est exclu de la compétition pour contrôle anti-dopage positif.


It’s a free world (Ken Loach 2007)
On ne sait si c’est la Palme ou la fréquentation d’Olivier Besancenot qui a donné une nouvelle jeunesse à Ken, mais toujours est-il qu’il signe sans doute là son meilleur film (même s’il y avait de belles choses dans Sweet Sixteen et The navigators) depuis Riff Raff (1991). Film ouvert à tous les vents, même les plus malaisants, où ce qu’il peut y avoir de sentimental, de moralisateur est assez vite contrebalancé par la révélation de dimensions inattendues aussi bien dans la complexité des personnages que dans l’efficacité cinématographique, puisque le film se paye même le luxe d’une escapade flippante dans le slasher movie.
Au tout début et à la toute fin, encadrant cette vaste palette qui paraît humblement mais sûrement se mesurer à la complexité de la mutation sociétale actuelle, la même scène...

... pour signaler que nous avons là affaire à un cycle inexorable : une séance de recrutement de travailleurs de l’Est menée par l’héroïne. Bien qu’apparemment identiques, une mutation dans le profil de l’héroïne, mais pas celle qu'elle attendait. Alors qu'elle pensait s'émanciper en montant sa boîte, elle en est rendue à la même aliénation. Valet au début. A peine sergent recruteur à la fin. Entre les deux, le parcours de ce petit soldat blairiste aura permis de faire résonner les mots de Büchner dans La mort de Danton (1835), qui s’ils parlent de la Révolution Française, s’appliquent sans doute aussi parfaitement au libéralisme dérégulé :

« Comme Saturne, [il] dévore ses propres enfants ».

PS : Il est vrai que le titre de ce blog lui-même pourrait être compris comme une exhortation à travailler toujours plus et à ouvrir les magasins le dimanche. Bon. Je rappelle que c’est le titre d’une chanson produite par un groupe dont j’avais surtout retenu l’aspect « chantier permanent », esprit assez proche du blog. Maintenant, j’ai peut-être un inconscient Medef au fond de moi… Rappelons tout de même qu’on y entend, dans cette chanson, une sentence définitive: « Peut-être, le mal du siècle, c’est l’emballage » à laquelle je ne peux que souscrire et complètement agréer.

samedi 26 janvier 2008

L'homme qui...

Finalement, c’est L’homme qui marche (Aurélia Georges 2007) qui devrait s’appeler…. ... Un homme qui dort (Georges Pérec & Bernard Queysanne 1974)...

... et inversement (en atteste la somme de trajets filmés dans le début de ce film sortilège).

Car finalement, plus que le film lui-même (que je trouve un peu à l’image de son personnage principal, un poil phobique de la fiction, du dialogue ou simplement de la rencontre), ce qui fait le prix du premier film d’Aurélia Georges, c’est cette façon de parvenir à redonner vie, avec des moyens minimaux, au Paris des années 70.
Pas tant une quête nostalgique qu’un souci de traquer les invariants de la ville, des trajectoires qu’elle a abritée, des rencontres qu’elle y a fait naître. Démarche peut-être plus fréquente et aisée pour l’écrit (Jean Rolin, Eric Hazan et consorts) et finalement assez rare au cinéma, bien qu’elle paraisse ouvrir plein de possibles.
Et sans doute, cet itinéraire (même si encore une fois, je regrette un certain manque d’ampleur fictionnelle) d’un spectre germano-pratin est-il le meilleur moyen d’en finir avec une rive gauche d’autant plus mythifiée que ceux qui sont nés à partir du milieu des années 70 n’en ont connu que sa caricature et ont grandi avec le sentiment d'arriver après la bataille.
En somme, le film redit, sur un mode mélancolique, ce que Jacques Higelin fanfaronnait déjà en 1966 (sur des paroles de Boris Vian, apparemment) :

Priez pour Saint-Germain des Près
Saint dépravé, saint déprécié
Priez aussi pour Saint-Benoît
Mais ne priez donc pas pour moi !

***
Sinon, autre « homme qui…. »,

... ce Giacometti minimal sur les étagères d’un ami : un bouchon de champagne devenu intraitable dompteur. C’est l’homme qui quoi ? L’homme qui se dresse ?

jeudi 24 janvier 2008

Jeu à somme nulle

- Bénéfices mondiaux de la franchise Harry Potter (uniquement sur les salles) : 5 milliards d'euros (en gros, un milliard par film) plus 2 milliards d'euros (reste deux films).
- Pertes mondiales Société Générale : 5 milliards d'euros (trader fou), plus 2 milliards d'euros (subprimes).

En somme, à chaque fois que vous trouverez un petit prodige...... qui, en un geste, vous transformera le plomb en or.

Vous en trouverez toujours un autre...... pour du même geste, vous ramener cet or en plomb.

mercredi 23 janvier 2008

No more there

Bon, je n'aime pas beaucoup plus Brokeback Mountain (Ang Lee 2005) que I'm not there (Todd Haynes 2007) en lesquels je peux voir deux exemples de "modern-académisme" mais le romantisme des destins d'étoiles filantes, ça me fait toujours quelque chose.

Ainsi, quand j'ai appris ce matin la fin d'Heath Ledger (1979-2008)...

Dans le "dylanoscope" de Haynes, il incarne la figure sentimentale, celle de Freewheelin' (1963) dont il reprend la tête dans les épaules et le blotissement amoureux :
... sans doute parce que HL était un acteur, un corps auprès duquel plus d'un, plus d'une avait envie de se lover.

Pour accompagner le souvenir d'un acteur qui aimait si bien se blottir et pour continuer dans le registre de la disparition romantique, ces quelques paroles qui me sont revenues en mémoire :

To die by your side

Is such a heavenly way to die...

... To die by your side,

Well, the pleasure, the privilege is mine.

There is a light that never goes out (The Smiths 1986)

mardi 22 janvier 2008

Comédie architecturale

Quand j’ai découvert, via ce blog, ce bêtisier architectural, la première phrase qui m’est revenue en mémoire, c’est :
« Quand c’est bête, c’est sur internet. » (proverbe grolandais)

Et la deuxième :
« L’architecture n’échappe pas à la gravité, à tous les sens du terme. D’abord, on n’échappe pas à Newton et ensuite, l’architecture comique, ça n’existe pas. » (proverbe de professeur d’architecture entendu maints fois du temps où j’étudiais cette discipline).
Ben si, justement la preuve.

Mais au-delà de la poésie et du dadaïsme involontaire de ces fragments architecturaux, presque le sentiment de retrouver des lieux d’inspiration pour le burlesque, comme si chaque décor, même le plus fantasmé, même celui qui ne peut exister « que dans la tête d’un cinéaste » avait forcément sa traduction construite quelque part sur cette Terre.

Ainsi (à gauche, quelque part sur Terre; à droite, au cinéma) :

Escalier ne pouvant être monté ou descendu que par la méthode Buster Keaton.

***

One week (Buster Keaton 1920)

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Nono Nénesse (Jacques Rozier 1976)

Film quasi invisible où Jacques Villeret et Bernard Menez ramenés à l'échelle de poupons, évoluent dans des décors disproportionnés. Remake d'un Laurel et Hardy dont j'ai oublié le nom et préfiguration de la franchise "Chéri, j'ai rétréci..."

***

Dans la peau de John Malkovich (Spike Jonze 1999)

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Nous, les vivants (Roy Andersson 2007)

Rapprochement peut-être plus clair sur l'extrait.

vendredi 18 janvier 2008

Scènes de ménage (1)

« Mais combien, ô combien de sanglots pour un air de guitare ? »
C’est ce qu’on entend dans l’extrait de Soigne ta droite (JLG 1987) avec les Rita Mitsouko (cf post d’en dessous), impromptue vignette filmé d’un couple de musiciens au travail.

« Mais combien, ô combien de chamailleries pour, non pas juste un raccord, mais un raccord juste ? »
C’est juste ce que montre Où gît votre sourire enfoui (Pedro Costa 2001), intense portrait filmé d’un couple de cinéastes au travail. (un extrait là).
Entre « les Straub » et « les Rita », deux couples artistes partageant plus d’un point commun : longévité, inventivité et surtout inflexibilité, indépendance et fidélité à leur propre jeunesse d’esprit. Il n’y a pas beaucoup d’autres artistes dont les « premières » et les « dernières » œuvres témoignent d’une même constance. Et l’impression que quand ils passent devant la caméra en acceptant de lever un coin du voile sur la fabrication ici d’une chanson, là d’un film, c’est une part du secret de leur alchimie intime et créatrice qui est capturée.

Deux couples faits d’alliances de contraires :
Chichin, mutique éthéré dégingandé & Ringer vocaliste expressionniste
Straub, théoricien bougon et éruptif & Huillet méthodique artisane du montage.
Chichin, la musique & Ringer, les paroles.
Straub, la voix & Huillet, le rythme.
Mais bon, un peu bête de distinguer comme ça car assez vite, ça se mélange, ça s’échange pour faire un tout indissociable.

Alliances intimes faites d’oppositions de caractères, de frottements de tempéraments, éléments hautement consubstantiels à l’acte créatif. Maintenant que ces deux couples ont été séparés par la mort, on pense encore plus à eux, tout en ne doutant pas que leur histoire continuera. On ne sait pas trop comment, mais étant donné la personnalité de Straub et de Ringer, elle ne peut pas s’arrêter là. Peut-être que "les histoires d'amour finissent mal en général", mais les leurs d'amour et de création ont largement de quoi les remplir de fierté.


Pour en revenir aux Rita, tout de même assez saisissant de penser qu’une caméra a été là pour enregistrer les tous premiers accords de leur immortel hymne : « les histoires d’A… ». Me rappelle aussi le court documentaire sur Gainsbourg et la création d’ Initials BB (visible ici et en deux parties tournées entre janvier et juin 68 avec comme par hasard, une singulière ellipse sur ce joli mai qui paraît-il fit pas mal flipper le Serge).

Et pour en revenir aux Straub, énormément à dire sur ce documentaire, séance de montage et d’ (auto)-démontage de leur propre cinéma. Fabrication du film comme un sortilège : plongée dans le noir de la salle de montage, deux silhouettes, une assise, une faisant les cent pas et leur parole à attraper au vol, aussi volatil mais précieuse et marquante que les mélodies des Rita. Théorie et pratique : vivacités des échanges oraux appliqués immédiatement à la table de montage. Chaque collure à l’appui de ce qui vient d’être dit. Plagiant fièrement Godard, je commençais ma note en disant qu’ils sont en quête non pas de juste un raccord, mais d’un raccord juste. C’est là où Straub me reprend, faisant un sort au terme « raccord ». S’il est à prendre dans le sens de « suture, soudure, arrangement, rattrapage », c’est vraiment la pire tromperie du cinéma, alors que le vrai passage d’un plan à un autre, d’un plan d’ensemble à un plan serré, ça doit être ça :

… une superposition invisible, une continuité d’axe et de perspective… mais surtout de regard, une continuité appuyée par la scansion des mots, une rectitude dans l’œil qui, par ailleurs, affûte l’audition. Le cinéma des Straub, c’est exactement ça : donner à l’esprit une matérialité sensorielle, une clarté aiguisée du regard alliée à la présence matérielle donnée à chaque mot.

Scènes de ménage (2)

Quand les Rita, "groupe inégal et inégalable" rencontre le plus "inégal et inégalable" des cinéastes, ça donne ça.

Soigne ta droite (Jean-Luc Godard 1987)

Scènes de ménage (3)

Ce blog décroche un scoop avec les toutes premières images du prochain film de Christophe Honoré (ici), qui devrait réconcilier fans et allergiques. Révélations incontestables de nouveaux jeunes tempéraments du cinéma français et fière reprise en main (qu'on attendait depuis Carax) du flambeau du romantisme rock et littéraire.

mardi 15 janvier 2008

Les restes du cinéma : des visages, un chuchotement


Je ne sais pas qui est ce Jonatan79 qui laisse sur You Tube plusieurs vidéos en « found footage », comme celle-là dont la belle simplicité fait naître sa simple beauté. C’est la mise en (rares) images et (maigres) sons d’un aphorisme skoreckien.

Et surtout la sensation de condenser une émotion arrachée de l’hypnose cinématographique, la capture de tout ce qui devrait rester du cinéma quand on en a tout oublié. C’est bien peu, mais c’est déjà immense : quelques visages qui regardent un spectateur à moitié endormi et une voix juste là pour lui chatouiller l’oreille.

Et puis, ce chuchotement me rappelle aussi Jean Bart ce chanteur (peut-être un peu trop) délicat qui samplait Carax et « les deux Anglaises » et citait Daney dans ses textes. Mais foin des références et des signes de reconnaissance, je ne me lasse pas de regarder cette vidéo, aussi belle et ténue que les restes d’un rêve, quand au matin, nous les percevons prendre la fuite à travers les trous de passoire de notre mémoire.

vendredi 11 janvier 2008

L'opération de la dernière chance (Antonin Peretjatko): samedi 20 h à Beaubourg


Juste ce mot pour prévenir de la projection demain soir, samedi 12, 20 heures à Beaubourg de l'Opération de la dernière chance d' Antonin Peretjatko (dont ce sera donc peut-être l'une des dernières chances de le voir, ouaf, ouaf). Sans doute l'un des courts les plus étonnants (et encore, c'est un bien faible mot) vus ces derniers temps. Disons simplement que ces 35 minutes de cinéma transpirent, comme rarement, la joie de filmer mâtinée d'un réjouissant esprit de sale gosse hyper doué. Potache, azimuté et réflexif, il sait également faire affleurer une douce mélancolie. Il faut vraiment le voir pour le croire... et surtout pour le ressentir.

Simplement, pour vous donner envie, disons qu'on trouve dans ce bazar parfaitement logique :

- La mise en application du conseil de Max Pécas : "Mettre la tour Eiffel dans son tout premier plan, comme ça le film se vend partout dans le monde". De fait, AP avait déjà fait de même pour son précédent film French Kiss, (Une Américaine à Paris des années 2000). Du coup, invitation dans quantité de festivals worldwide, ce qui lui a permis de ramener une tonne d'images des quatre coins du globe mis à plat. Ce qui nous donne donc le seul court-métrage au monde capable de rivaliser avec plusieurs James Bond en nombre de lieux de tournage exotiques.

- Un tour du monde capturé en 16 millimètres, 35 minutes et sur une bobine d'un kilomètre de long.

- Une super première réplique soupirée par une lasse James Bond girl en bikini: "La France est un beau pays, mais qu'est-ce qu'on s'emmerde".

- Lou Castel, qui joue sa partition à part, un peu perdu comme d'habitude, mais comme là, c'est au milieu du foutoir, c'est encore mieux que d'habitude.

- Le filmage et surtout la mise en scène d'une histoire drôle. En l'occurrence, "tu sais comment on rebouche une bouteille de champagne", avec une chute qui n'est pas celle qu'on attend.

- Derrière les blagues, la potacherie, les illusions, les "jeux d'images", la vraie mise à jour de la mélancolie amoureuse. Dans son mixte de travail sur les figures du genre piégées par leurs propres réminiscences sentimentales, assez proche en cela du roman de Brautigan Un privé à Babylone (1977).
- Un cinéma ultra spontané comme quête d'innocence, comme moyen de revivre la première fois. De fait, quand AP filme un visage de jeune fille, un arbre ou un parc sous la neige, on a l'impression de les voir pour la première fois. Exactement comme chez Garrel ou...

- ... comme chez JLG qui devrait voir ce film pour qu'il arrête de nous fatiguer en disant qu'il n'arrive pas à transmettre.

mercredi 9 janvier 2008

La graine et le mulet : une place au Panthéon ?

Une place amarrée à la République (ou plutôt à son quai), c'est ce que cherche à conquérir Slimane, le héros de La graine et la mulet. Une place au plus haut du cinéma (français, mais pas uniquement), c'est ce qu'a conquis Abdellatif Kechiche en l'espace de seulement deux films (en fait trois, mais le premier n'avait quand même pas la dimension des deux suivants).
Toujours difficile de passer après l'unanimisme critique. Que faire, que rajouter qui ne paraisse pas une redite ?

Peut-être simplement se demander, collages à l'appui, si La graine et le mulet semble en mesure de tutoyer d'autres titres référence.

Nouveau « néoréalisme » des années 2000 ? Une dernière partie qui pourrait s’appeler « le voleur de mobylette » (titre soufflé par G.) et de fait, en dirait autant sur la France d’aujourd’hui que Le voleur de bicyclette (Vittorio de Sica 1948) sur l’Italie de la reconstruction ? Pour la même façon de faire virer un fait divers dérisoire vers la fable tragique. Pour la même façon qu’a personnage principal de se découvrir, dans l’adversité, la dignité d’une nouvelle paternité (fut-ce-t-elle de substitution).


A nos amours (Maurice Pialat 1983) retrouvé ? Pour les scènes de repas capables de rivaliser avec celle où Pialat débarquait sans prévenir pour le dessert. Table ouverte, parole lâchée, appétit débridé, famille à géométrie variable. Preuve que des têtes qui parlent autour d’une table, ça peut produire du grand cinéma. Encore faut-il être capable de transformer cette table en un étonnant lieu d’échanges et de croisement de paroles.

Règle du jeu (Jean Renoir 1939) réactualisée ? Là encore pour les scènes de table…


... mais aussi et surtout…

Parce qu’on se demande si le geste de faire monter la France à bord d’un bateau immobile n’est pas cousin de l'invitation au chateau renoirien. Et puis parce que le dîner arlésienne sert, tout autant que la tragique partie de chasse, de puissant révélateur pour faire tomber les masques sociaux. Et puis aussi, cette façon d’allier l’entrain avec un tragique éloigné des regards.


La danse chez Kechiche, comme le théâtre chez Renoir, comme dérivatif mais aussi métonymie de la comédie sociale. Et puis encore, un film qui fait résonner avec un écho d'aujourd'hui le fameux "chacun a ses raisons", mais réellement: pas juste une kyrielle de personnages "à points de vue", mais la prise en compte d'une réalité complexe devant laquelle le spectateur reste libre de son propre regard.

Husbands (John Cassavetes 1970) réconforté ? Voisinage pour la part la plus secrète du film, mais pas la plus difficile à cerner. Sans explicite, ce parfum récurrent de l’acceptation d’une certaine défaite masculine, prix à payer de sa propre inconstance. Paternité de substitution comme dernière chance de contrer le spectre du désarroi qui frôle les mâles défaillants, frères de la bande cassavetesienne. Et puis aussi, comme dans Une femme sous influence (1974), l’usage de la scénographie domestique, les chambres et appartements ouverts, quasi publics mais où se pose toujours la question d’un jeu entre la pudeur et l’impudeur.

Exploration du spectre de la pudeur et de l’impudeur, particulièrement explicite dans le long monologue d’Alice Houri et les réactions muettes d’Habib Boufares. Des mots vomis contre quelques regards taiseux, mais au fond la même demande de considération, l'une muette, l'autre extravertie. A propos de cette scène, et partant du film en général, les phrases les plus pertinentes, je les ai lues dans cette chronique :

« Pris dans les vagues : la même sensation qu'à l'écoute des longs morceaux de Sonic Youth, où les moments de calme sont d'autant plus beaux qu'on les sait coincés entre deux tempêtes électriques. Ici aussi, le flot des mots ne s'apaise que pour mieux repartir. »

De fait, par son travail d’épuisement de la langue, La graine et le mulet peut évoquer cet autre film monument du cinéma français où, selon les moments et les affects, la parole est autant déployée avec bonheur que crachée pour mieux exorciser son malaise, ce film sorti l’année de ma naissance et sur lequel le groupe qui donne son nom à ce blog choisit de plaquer ses quelques accords malingres et ses stridences dévastatrices que les mots semblaient d'eux mêmes appeler.

La maman et la putain (Jean Eustache 1973)
La maman et la putain (Diabologum 1996)
(Sinon, c'est en plus grand).


Mais finalement, l’artiste qui me semble le plus proche de Kechiche est un autre artiste d’aujourd’hui. Il ne s’agit pas d’un cinéaste, mais d’un écrivain, de la romancière anglaise Zadie Smith. Par un heureux hasard, il se trouve que la vision du film a pris place au milieu de la lecture de son dernier roman : De la beauté. Chez l’un comme chez l’autre, on retrouve la même virtuosité et le même plaisir à se perdre dans les méandres de la langue parlée, la même façon de mettre en actes la multiculturalité de leurs pays respectifs tout en faisant, non sans humour, un sort à toute visée sociologisante, la même façon de transcender le quotidien des affects familiaux pour leur donner un lyrisme insoupçonné. Plus que d’une rencontre entre ces deux artistes, c’est d’une rencontre entre leurs personnages dont on rêve, tant ceux-ci paraissent avoir à échanger.

mardi 8 janvier 2008

8 jours que s'en griller une est devenu un acte subversif...

Est-ce qu'on pourrait encore faire (tous) les films de Godard aujourd'hui ? En tout cas, pas celui-là qu'il cosigna en 1992 avec Anne-Marie Miéville. Des images qui tomberaient aujourd'hui sous le coup de la loi.

samedi 5 janvier 2008

En 2008, faut que ça danse (1)

En écho auto référentiel à un lointain billet du début de ce blog, puis parce que ce blogueur me l’a remis en mémoire, voilà pour encore se donner du courage en ce début d’année, la plus belle séquence de danse au cinéma de tous les temps. En tout cas, une que je suis capable de regarder 348 fois de suite sans m’en lasser.

Simple Men (Hal Hartley 1992)

A ceux qui pensent que cette scène, c’est du copiage godardien, je répondrais que si Hartley avait vraiment voulu faire du Godard, il aurait remplacé sa toute première réplique : « I can’t stand the quiet » (pourtant impeccable avant la tornade Sonic Youth) par « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie », ce qui revient à peu près au même, mais pas tout à fait.

En 2008, faut que ça danse ! (2)

En écho au précédent post, voici tout de même la scène de laquelle Hartley s’est inspirée.

Bande à part (Jean-Luc Godard 1964)

L’avantage de les accoler, grâce au blog, c’est qu’on peut les voir, les rapprocher, les comparer, quasiment les split-screener mentalement… enfin bref les revoir à l’infini sans s’en lasser. Celle-là aussi, elle supporte sans mal ses 348 visions.

En 2008, faut que ça danse ! (3)

En écho au premier film vu en 2008, enfin honteusement et par très courtes bribes puisque ce fut…. La soupe aux choux (Jean Girault 1981) encore une madeleine nanaresque à propos de laquelle je me disais : « ce film-là, si improbable sur le papier, on ne pourrait plus le faire aujourd’hui, ce qui lui donne au moins un point commun avec les Ferreri, les Eustache ou les Carax».

Puis, je me suis dit que ce n’était quand même pas possible de soutenir un truc pareil, jusqu’à ce que, sur ce blog, je découvre cet extrait d’un autre film où notre Louis national « goes to musical ».



L'Homme Orchestre (Serge Korber 1970)


Plus que curieux de voir le reste du film (si c’est du même niveau, ça promet). Je me demande surtout pourquoi la télé ne programme pas plus souvent cette (apparemment) heureuse exception dans la litanie des comédies marronniers.

En bon « easy listening addict », on peut décréter qu’il s’agit là du film préféré (et de sa principale source d’inspiration) de Bertrand Burgalat ou croire voir s'animer la pochette de "Robots après tout" de Katerine. En cinéphile tolérant, on peut y voir une heureuse infusion de Demy ou de Minnelli dans le nanar à la française, qui du coup vole un peu plus haut que d’habitude. En bon amateur de danse contemporaine, on peut y voir un sympathique pastiche béjartien et admirer la façon du Louis de diriger la danse plus que de l’accompagner, d’y rentrer avec autorité pour en sortir aussitôt. On peut surtout se dire que le corps de De Funès, ce corps de pantin nerveux, aurait inspiré plus d’un chorégraphe.
Et puis en bon critique désabusé, on peut se dire que tout ça, c’est quand même plus proche de Maritie et Gilbert Carpentier que de Stanley Donen et que l’on peut dater avec cet opus du début des seventies la toute première prise de pouvoir du comique télévisuel sur le burlesque cinématographique.
Autant de bonnes raisons d’aller voir ça de plus près.



Si les extraits ne marchent pas dans les fenêtres, c'est ... et puis là pour Hartley et puis là pour Godard Et puis SURTOUT ça aussi... et puis des découvertes à venir.

vendredi 4 janvier 2008

Les cadavres de Noël sont déjà dans la rue

Cette année, j’ai vu mes premiers cadavres conifères le 3 janvier. En même temps, je ne suis quasiment pas sorti de chez moi les 1er et le 2, et l’entre-fêtes a été bien calme. Je jurerais que, dans le passé, j’en avais vu apparaître dès le 26 décembre. Dans ces cas-là, on ne peut s’empêcher de se demander de quel Noël l’arbre a été témoin et surtout pourquoi, dans les premiers jours de janvier, ces arbres déchus semblent porter tout le désespoir du monde.

Ce genre de pensées, elles sont magistralement évoquées dans Qu’est-ce que tu vas faire de 390 photos d’arbres de Noël ? impeccable chapitre niché entre les pages 58 et 63 de Tokyo Montana Express (Richard Brautigan 1980) :

« Je crois que nous étions encore sous le coup de l’assassinat du président Kennedy. Peut-être que ces photos d’arbres de Noël, ça avait quelque chose à y voir.

(…)

L’arbre avait été dépouillé de ses décorations et gisait là, tristement comme le soldat mort après la défaite. Une semaine auparavant, on avait pourtant dit du héros.

Puis j’en vis un deuxième, à demi écrasé par une voiture en stationnement. Quelqu’un l’avait laissé dans la rue et l’auto lui était passée dessus par accident. On était loin des attentions que l’enfant prodigue à son arbre de Noël adoré ! »

Et puis ce bouquin, j’ai voulu l’offrir je ne sais combien de fois, mais j’ai souvent dû y renoncer parce j’ai toujours trouvé des exemplaires où il y avait deux fois la page 159-160 et sans la page 161-162. Bon, c’est sûr deux pages qui manquent sur un bouquin de 300, c’est peut-être pas tant que ça, mais il suffit parfois d’une saute de quelques dixièmes de seconde sur un vinyle pour nous sortir du morceau. En même temps, ce genre de mésaventure, ça fait tellement Brautigan que ça a peut-être été fait exprès ou pour inspirer quelques pages apocryphes sur le mode : « Pourquoi je n’ai pas offert un livre de Brautigan à cause d’une histoire qui aurait pu être inventée par Richard Brautigan ».

jeudi 3 janvier 2008

Pour 2008, les augures sont dans la rue

Désolé d'en rajouter dans les épanchements de futurs parents, mais vu que dans la nouvelle pub RATP, on habite désormais à la station...

... "heureux évènement", impossible de laisser passer un truc pareil.

mardi 1 janvier 2008

366 jours ouvrables

Aux habitués de ces pages, à ceux qui sont passés ou ne passeront ici qu’une seule fois et ne reviendront plus, à ceux que j’ai rencontrés grâce à ce blog, à ceux qui ne sont jamais d’accord avec moi, à ceux qui ne voient pas les images de ce blog parce qu’elles sont trop lourdes pour leur ordi si léger, à ceux dont ce blog bloque leurs commentaires, à ceux qui laissent des commentaires, à ceux que j’ai retrouvé grâce à ce blog, à ceux qui arriveront ici dans six mois après avoir googlé le titre de la meilleure chanson du meilleur groupe du monde (enfin de Toulouse) de tous les temps (enfin de 1996), à ceux qui laissent des commentaires que je découvre toujours avec joie, à ceux qui sont arrivés ici en altavistant des renseignements sur La garçonnière (Billy Wilder 1960) ou Eloge de l’amour (Jean-Luc Godard 2001) – qui sont photogrammés dans ce billet -, à ceux qui forrestgumpisent en pensant que « les jours de l’année, c’est comme les crêpes, c’est pas grave si le premier est raté », à ceux qui pensent à juste titre que ce blog manque cruellement de Bergman et de Pasolini (promis, ça viendra), à ceux-là et à tous les autres, je ne peux que souhaiter le meilleur pour cette année olympico-bissextile qui s'ouvre (à ceux qui comme nous attendent un enfant et se demandent si ça va poser un problème qu’il arrive un 29 février) et surtout, surtout, surtout, ne leur adresser que ces quelques mots :